Pourquoi une Terre jeune est nécessaire pour une saine théodicée : le problème de la mort et du mal dans le monde

16 février 2020 2 Par Bible & Science Diffusion

Par Gérald Pech

Darwin fit la déclaration suivante qui servira de point de départ à ma réflexion à propos de la nécessité d’une saine théodicée :

« Un être si puissant et si rempli de connaissance qu’un Dieu capable de créer l’univers est, à nos esprits limités, tout puissant et omniscient. Cela révolte notre intelligence d’imaginer que sa bonté n’est pas également illimitée. Car quel avantage peut-il y avoir aux souffrances de millions d’animaux inférieurs au cours d’âges presque sans fin ? » [1]

L’absurdité des « souffrances de millions d’animaux inférieurs au cours d’âges presque sans fin » (selon l’expression de Darwin) et de leur mort subséquente n’est pas seulement le propre de la théorie de l’évolution, mais constitue une difficulté insurmontable au regard de la révélation biblique pour également tout modèle de création qui postule de longues ères géologiques et accepte la chronologie enseignée par la science moderne, en faisant émerger l’homme des millions d’années après la mort d’autres êtres vivants.

En effet, l’idée que la souffrance, la mort, la prédation comme moyen de survie aient existé bien avant l’homme, et donc avant la Chute, s’oppose frontalement à trois vérités bibliques de première importance, qui sont les suivantes :

– La création a été créée « bonne » au départ, non gâtée par le péché ni même la mort ni la dégénérescence.

– La chute d’Adam, par son péché de désobéissance à Dieu, a amené sur lui et sur l’humanité entière la mort spirituelle et physique, et par là-même, introduit la malédiction, la souffrance, la corruption et la mort dans le cosmos tout entier, dans la nature, plantes et animaux compris, cette corruption n’étant pas constitutive de la création, mais uniquement le fruit de la chute. Par sa chute, l’homme, couronnement et tête fédérale de la création, a donc amené la vanité et la corruption dans le monde. La mort, spirituelle et physique, est la conséquence directe du péché.

– La rédemption, qui culmine à la croix, où Jésus-Christ, le Fils de Dieu, par sa mort, a effacé la dette de nos péchés et nous a justifiés par son sang précieux pour la vie éternelle, sera pleinement achevée lorsque Dieu reviendra rétablir toutes choses, et instaurer « une nouvelle terre et de nouveaux cieux où la justice habitera » (2 Pierre 2:3.) En attendant ce jour béni, la création entière soupire et gémit en attendant cette rédemption finale, où elle sera délivrée de la vanité, de la corruption et de la mort (Romains 8:18-25), qui sera le dernier ennemi vaincu. « Lorsque ce corps corruptible aura revêtu l’incorruptibilité, et que ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, alors s’accomplira la parole qui est écrite : La mort a été engloutie dans la victoire. O mort, où est ta victoire ? O mort, où est ton aiguillon ? L’aiguillon de la mort, c’est le péché ; et la puissance du péché, c’est la loi. » (1 Corinthiens 15:54-56.) Cette rédemption n’a aucun sens si la mort était déjà présente avant la chute, car comment Dieu peut-il encore appeler la mort un ennemi si elle faisait ontologiquement partie de la création « bonne » au départ, et était utilisée par Dieu comme un moyen de création progressive ?

En effet, si c’est Dieu qui a instauré la « loi de la jungle » comme principe de création progressive, cela voudrait donc dire que le principe même de lutte pour sa survie, et donc d’égoïsme, puisqu’il s’agit pour un animal de déchirer sa proie pour la dévorer et pour subsister, a été voulu de Dieu même, et que ce principe préside à l’apparition de l’homme, et constitue un principe ontologique fondateur, émanant de la nature même de Dieu. Car puisqu’il a été établi dès l’origine par Dieu le Créateur, c’est qu’il provient de sa nature même. C’est un lien ontologique que l’on ne peut briser. Si l’on accepte cela, cela veut dire que, dans le caractère même de Dieu, se trouve cette propension à la domination par la loi de la survie, du plus apte, du plus fort, et se trouve le principe de l’égoïsme, de l’individualisme. Mais cela contredirait alors la conception d’un Dieu d’amour parfait en Jésus-Christ qui, lui, s’est donné en sacrifice sur la croix. Même en disant que de cette loi de la jungle résulte une plus grande harmonie pour l’homme, cela ne changerait rien, mais aggraverait encore la situation d’un cran, puisque cela reviendrait à dire que la fin (bonne) justifie les moyens employés (mauvais). Dieu serait donc hautement foncièrement immoral, et sur cette base ontologique mouvante, il serait possible de justifier toutes les dictatures passées et présentes.

Nous en arrivons donc tout naturellement au cœur du problème soulevé : si l’on admet que Dieu a créé les animaux des millions d’années avant l’homme, alors comment défendre logiquement et rationnellement une théodicée saine, c’est-à-dire comment justifier la présence du mal dans le monde si Dieu est un Dieu d’amour ? Comme dit plus haut, il n’y a plus de théodicée possible puisque le mal (la loi du plus fort qui revêt une connotation morale) serait partie intégrante de la nature, du caractère, de la volonté et de l’œuvre de Dieu. Accepter un modèle de création progressive (avec ou non un schéma transformiste) étalée sur des millions d’années revient donc à dénaturer complètement le caractère de Dieu, lui enlevant la bienveillance, la compassion pour les faibles, l’amour pour les perdus et les marginaux.

Ceux qui défendent une Terre âgée soutiennent qu’avant l’émergence de l’homme, pour ce qui est du monde animal pré-adamique, il faut faire abstraction de toute notion morale, et ne pas recourir à la notion du bien et du mal, parce que, disent-ils, les animaux ne possèdent pas de conscience morale. Par exemple, un scientifique chrétien défendant une Terre âgée s’exprime de la façon suivante :

« Mais peut-on parler de la notion de péché chez les animaux ? Quand un lion mange une antilope commet-il une transgression ? Non car il agit selon son instinct, cette volonté que Dieu a placé dans son fort intérieur ; il a appris la technique de chasse par l’éducation de ses parents. Il n’a pas une conscience qui puisse à un moment donné l’amener à la repentance : « Pardon chères antilopes de vous avoir chassées ! » Ainsi, la notion du péché ne pouvait venir que par l’homme en qui Dieu a mis une conscience (un esprit dans le sens profond du terme). Sinon, il faut croire que la chute a enlevé la conscience animale. » [7]

A ceci, il peut être répondu que si les animaux ne sont pas dotés d’une conscience morale, l’homme, lui, l’est, et cette conscience morale nous convainc bien que la souffrance et la mort d’un animal sont proprement injustes et cruelles. Et c’est précisément l’image de Dieu en nous qui nous permet d’éprouver ces sentiments de pitié à l’égard d’un animal. Ceux qui ont possédé un animal domestique (chat, chien, etc.) auquel ils étaient attachés et qui, un jour, est mort, pourront sans peine témoigner de la tristesse qu’ils ont éprouvée en voyant leur animal de compagnie mourir. Et Dieu qui est, par excellence, le Dieu d’amour et de miséricorde, ne serait-il pas, lui le premier affligé par la mort d’une de ses créatures? La parabole des quatre-vingt dix-neuf brebis montre, à l’évidence, que non seulement un fort lien d’affection peut se tisser entre l’homme et un animal, mais qu’en outre Dieu se soucie de ses créatures humaines comme il se soucie de ses créatures animales. Darwin, qui était agnostique, avait également compris l’absurdité de la souffrance et de la mort de millions d’animaux pendant des ères sans fin, comme le montre la citation de lui qui introduit le présent texte. Il est donc tout à fait impropre de dénier le caractère immoral de la souffrance et de la mort lorsqu’elles sont décorrélées du péché chez les animaux en invoquant l’argument que ceux-ci ne possèdent pas de conscience morale. Des athées évolutionnistes convaincus, hostiles à l’idée même d’un Créateur, comme Theodosius Dobzhansky, comprennent sans peine l’absurdité d’une création divine où la mort serait présente :

« Quelle opération aberrante et absurde, de la part de Dieu, que de créer à partir du néant une multitude d’espèces pour en laisser mourir la plupart ensuite ! » [8]

Comment pourrions-nous encore, en tant que chrétiens, leur présenter la solution de Dieu qu’il a lui-même révélée à l’homme, si nous enseignions nous-mêmes que la mort était au cœur de la création, ce qui revient à dire que nous ne nous formalisons pas le moins du monde de l’absurdité même caractérisant et la création « bonne » au départ et le Créateur ? Que signifierait alors « bon » ? Comment définir le bien et le mal ? En somme, il n’y aurait plus de morale possible, plus de cohérence, et le christianisme se viderait de tout son sens. Puisque si la mort ne vient pas du péché d’Adam, mais était inscrite comme principe fondateur dans la création, alors pourquoi et en quoi le péché serait-il si grave ? Et ultimement, la question qui achève de sonner le glas au christianisme est la suivante : si la mort ne vient plus du péché d’Adam, pourquoi aurai-je besoin de Jésus-Christ pour ma rédemption ? Pourquoi était-il nécessaire que Christ mourût pour mes péchés afin que je fusse délivré de la mort, puisque la science, en accord avec la théologie, aurait établi que la mort est constitutive de la création ? La croix de Jésus-Christ perd ainsi tout son sens, et tout le christianisme devient absurde.

Cette pierre d’achoppement qu’est la présence de la mort avant la chute se retrouve donc également dans la position concordiste qui cherche à établir un accord entre la séquence des actes créateurs de Dieu relatés dans le récit de Genèse 1, et le scénario d’apparition progressive de l’univers, du monde minéral, du monde végétal et du monde vivant au cours de l’évolution générale.

C’est conscients de cette difficulté et pour essayer de la contourner que des théologiens évangéliques actuels comme le mathématicien William Dembski, principal promoteur du “Dessein Intelligent” cherchent à proposer une théodicée [2], – c’est-à-dire une justification de la présence du mal (souffrance, maladie, corruption et mort) dans le monde face à l’existence d’un Dieu bon, bienveillant, omniscient et omnipotent – en considérant cet état de mal effectivement comme une conséquence logiquement et théologiquement postérieure à la Chute, mais curieusement antérieure chronologiquement et historiquement à la Chute. William Dembski résout cette contradiction en recourant à ce qu’il appelle une lecture non plus chronologique (du grec chronos qui dénote simplement la durée) de Genèse 1, mais “ kairologique ” (du grec kairos qui signifie le temps en combinaison avec un dessein, spécialement un dessein divin), suivant une logique non plus causale mais “téléologique-sémantique” par laquelle, selon lui, Dieu aurait agi dans ses actes créateurs. Voici son explication :

« Selon cette logique, Dieu est capable d’agir de façon préemptive dans le monde, anticipant des événements, et en particulier les actions humaines. En agissant de façon préemptive, Dieu ne fait pas obstruction à l’exercice de la liberté humaine, mais plutôt anticipe les conséquences de son exercice. La lecture kairologique de la Genèse décrite dans cet article préserve la compréhension classique de la théodicée chrétienne, suivant laquelle tout le mal dans le monde tire son origine du péché de l’homme lors de la Chute. De plus, ayant préservé cette compréhension classique de la Chute, cette lecture de la Genèse préserve également la compréhension chrétienne classique de la sagesse et de la providence particulière de Dieu dans la création. » (p. 53.)

Malheureusement, cette sorte d’explication tout à fait artificielle ne nous paraît pas satisfaisante. Elle se révèle même déficiente, car dans le monde visible, et suivant le principe essentiel de causalité, l’effet est toujours postérieur à la cause qui lui a donné naissance. En outre, le fait que Dieu ait pu et voulu créer le monde en faisant en sorte de le soumettre à la vanité avant même l’entrée du péché dans le monde, par anticipation et de façon préemptive, est en parfaite contradiction avec la pédagogie la plus élémentaire : comment Adam aurait-il pu comprendre logiquement, moralement et spirituellement la portée de sa désobéissance entraînant non seulement sa mort (spirituelle et physique), mais aussi la malédiction sur toute la création (Genèse 3:14-19) si cette vanité et cette mort existaient déjà bien avant son premier péché ? Pour illustrer cette interrogation, que penser d’un père qui corrigerait son enfant de façon préemptive avant même que celui-ci n’ait commis la moindre faute ? Une telle pédagogie se révèlerait certainement inefficace et contre-productive ! Voilà donc la sorte d’impasse à laquelle l’on peut être acculé, lorsque l’on part de l’hypothèse d’une Terre âgée et que l’on cherche à tout prix à harmoniser les Ecritures avec ce présupposé. Si William Dembski avait entrepris la démarche inverse, celle qui consiste d’abord à accepter la proposition biblique que le désordre, la corruption, la souffrance et la mort sont les conséquences directes et subséquentes du péché d’Adam, et ensuite à remettre en cause les vérités de la science conventionnelle, il n’aurait pas eu besoin de recourir à cet expédient théologique fort confus.

La raison de ce jonglage théologique élégant, mais incohérent est liée principalement au fait que William Dembski, comme beaucoup d’autres scientifiques chrétiens qui acceptent la vision scientifique conventionnelle d’une Terre âgée, tient, dans la pratique, en plus haute estime les vérités et acquis de la “science” que la révélation des Ecritures, ce qui revient à nier leur inerrance, même s’il s’en défend vigoureusement. Intérieurement, William Dembski réalise bien que l’enseignement des Ecritures ne laisse aucune place à un scénario dans lequel une création bonne serait caractérisée par la mort et la souffrance, mais, intellectuellement, cette conclusion appuyée sans équivoque par l’évidence exégétique le perturbe, parce qu’elle introduit, du coup, une contradiction irréconciliable avec les données de la science moderne. Les lignes suivantes de son cru qui explicitent clairement ses motivations sont fort honnêtes et le montrent bien :

« C’est certain, l’on peut tenter de soutenir l’argument exégétique que Romains 5:12 ne parle strictement que de la mort humaine. Mais les créationnistes partisans de la Terre jeune s’en sortent beaucoup mieux, à la fois exégètiquement et théologiquement, en interprétant ce passage comme parlant de toute mort et non pas seulement de la mort humaine. Il semble difficile de faire cadrer un monde dans lequel des maux naturels comme la mort, la prédation, le parasitisme, la maladie, la sècheresse, les famines, les tremblements de terre et les ouragans précèdent les humains et paraissent, par conséquent, déconnectés de la Chute, avec une création qui, au commencement, est créée bonne. Sans une Terre jeune (c’est-à-dire une Terre créée en six jours de 24 heures et couvrant une histoire de seulement quelques milliers d’années), comment de tels maux naturels peuvent-ils être reliés au péché de l’homme ?

Le créationnisme partisan de la Terre jeune présente une chronologie directe qui aligne l’ordre de la création avec une conception traditionnelle de la Chute : Dieu crée un monde parfait, Dieu place des humains dans ce monde, ceux-ci pèchent, et le monde va de travers. Dans cette chronologie, la théologie et l’histoire marchent parfaitement synchronisées avec le premier péché de l’homme, précédant le mal et étant causalement responsable du mal dans la nature aussi bien que personnel. Cependant, si la plus grosse partie de l’histoire naturelle précède les humains de milliards d’années et si sur les 600 dernières millions d’années des animaux multicellulaires ont émergé, ont lutté, combattu pour leur survie, chassé leurs proies, parasité, exterminé d’autres créatures, et se sont éteintes, alors l’harmonie entre la théologie et l’histoire dans le créationnisme dans sa version Terre jeune devient insupportable. Dans ce cas, l’histoire naturelle telle que décrite par la science moderne apparaît irréconciliable avec l’ordre créationnel décrit par la Genèse» (p.18.)

« Si la science est contre une Terre jeune, l’histoire des interprétations bibliques ne l’est pas. En effet, le créationnisme de la Terre jeune a été, de manière écrasante, la position de l’Eglise, depuis les Pères de l’Eglise jusqu’aux Réformateurs. Même Origène et Augustin, qui voyaient l’ordre de la création comme divergeant par rapport à l’histoire naturelle (et étaient, par conséquent, sensibles à la distinction à opérer entre kairos et chronos), soutenaient l’idée d’une Terre récente » (p. 22.)

“Une Terre jeune semble être requise pour maintenir une compréhension traditionnelle de la Chute. Et pourtant une Terre jeune s’oppose de façon frontale avec le courant majoritaire en science. Les chrétiens, par conséquent, semblent se trouver dans la situation où ils doivent choisir leur poison. Ils peuvent soit opter pour une Terre jeune, maintenant par là une orthodoxie théologique, mais commettant une hérésie scientifique ; soit opter pour une Terre âgée, et, de fait, commettant une hérésie théologique, mais maintenant une orthodoxie scientifique… » (p. 25.)

Il s’agit, à nos yeux, de l’aveu le plus lucide bibliquement et le plus sincère intellectuellement et moralement, qui puisse être arraché de la bouche d’un chrétien soutenant l’idée d’une Terre âgée, et, pour cette seule raison, William Dembski mérite bien des félicitations. Pour paraphraser William Dembski avec des mots plus directs encore, l’idée d’une Terre jeune est historiquement, théologiquement et exégètiquement celle qui se dégage immédiatement de la lecture des Ecritures interprétée suivant une herméneutique respectant l’analogie de la foi. L’idée d’une Terre âgée est étrangère à la pensée biblique, distord l’exégèse et perturbe toute la compréhension scripturaire du sens même de l’histoire de la rédemption (que la Réforme a admirablement bien replacée dans la perspective « Création – Chute – Rédemption » que nous avons résumée plus haut). En d’autres termes, ce qui pouvait paraître n’être, au départ, qu’une dispute d’ordre purement scientifique, sans aucun lien, sans aucune incidence sur le cœur de la foi, le cœur de l’Evangile, et le fondement même du christianisme, à savoir, la théologie de l’alliance qui culmine dans la finalité christocentrique de la croix et dans la perspective du salut et de la rédemption, se révèle être, en réalité, un point théologique névralgique sur lequel repose toute la révélation.

Par ailleurs, il ressort aussi des affirmations de Dembski que l’idée d’une Terre âgée ne tire pas son origine des Ecritures mais clairement de l’influence de la science moderne sur laquelle il préfère s’aligner afin de ne pas être considéré comme un « hérétique ». Il est bien dommage qu’un aussi brillant scientifique, doué, plein de talents, titulaire de plusieurs diplômes universitaires dans des domaines très disjoints (mathématiques, philosophie, théologie, biologie), se soit laissé intimider par la science conventionnelle, croyant que les méthodes de datation radiométrique, dans ce dilemme entre orthodoxie scientifique ou orthodoxie biblique, ont eu le dernier mot :

« Les méthodes de datation, à mon avis, fournissent la plus forte preuve en faveur d’un rejet de cette lecture chronologique directe de Genèse 4-11 » (p. 49.)

C’est hélas ! ignorer ou sous-estimer les conclusions des travaux du projet RATE (Radioisotopes and the Age of The Earth) [4] très stimulants, en pleine effervescence, menés par les chercheurs chrétiens américains de l’Institute of Creation Research (ICR) sur la fiabilité des méthodes radiométriques, travaux qui ont d’ores et déjà fourni des résultats très encourageants de nature à renverser le paradigme d’une Terre âgée. En effet, plusieurs indices montrent la possibilité que le taux de désintégration des éléments radioactifs n’ait pas été constant au cours de l’histoire du cosmos. Ariel Roth de la Geoscience Research Institute a raison de dire, avec confiance, que le dernier chapitre sur les datations radiométriques n’a pas encore été écrit [5], ce qui signifie, pour les scientifiques chrétiens, qu’une voie passionnante de recherche reste encore à être explorée !

Hélas ! les affirmations si limpides de William Dembski contrastent avec le ton fort immodéré de certains partisans français de la théorie de l’évolution tels que Jean Humbert, pourtant chrétien évangélique. Dans son livre Création – Evolution : Faut-il trancher ? [3], il n’hésite pas à qualifier d’ « intégriste » l’interprétation « littéraliste » des « néo-créationnistes » (p. 125.) Quelques extraits de son livre sont éclairants :

« Depuis plus de 20 ans, les protagonistes du littéralisme intégriste s’estiment les seuls vrais créationnistes. Ils monopolisent le mot de création en lui donnant un sens plus étroit. Avec eux, le créationnisme prend une forme nouvelle. C’est pourquoi je propose de les nommer “ néo-créationnistes».

1 – La thèse littéraliste intégriste est défendue par la Creation Research Society de San Diego…

S’appuyant sur leur lecture de la Bible, les néo-créationnistes admettent la création en 6 jours de 24 heures…

2 – (…) Le littéralisme intégriste est-il la bonne interprétation ? Nous estimons que pour respecter l’intention des récits de la Création et du Déluge, pour ne pas fausser la tournure d’esprit de leur rédacteur, il ne faut pas lire ces textes simplement comme des récits de faits d’événements observés et rapportés par un témoin oculaire. (…) Se limiter aux détails matériels, c’est atténuer la portée des grandes vérités dont ils ne sont que les supports. L’hyperlittéralisme dont les néo-créationnistes font preuve dénote une insensibilité littéraire grave (ou voulue ?) et révèle le refus de reconnaître les genres littéraires, ainsi que les principes herméneutiques.

(…) Ce n’est pas en dénigrant la science officielle que l’on pourra construire une bonne anti-science ! » (p. 127-128) [c’est nous qui soulignons.]

La position, la posture et l’attitude de Jean Humbert face au créationnisme de la Terre jeune sont symptomatiques d’une large ignorance, très courante et très médiatiquement et savamment entretenue en France, de l’histoire de l’interprétation théologique des six jours de la création à travers les siècles et de la doctrine biblique même de la création. En à peine quelques pages, Jean Humbert aligne l’une après l’autre d’énormes erreurs et contre-vérités parmi lesquelles nous nous contenterons d’en relever quatre ci-après :

(i) L’interprétation « littéraliste » (l’emploi de ce terme est déjà en soi très péjoratif) ne daterait que de 40 ans, des années 60 plus précisément (son livre a été écrit en 1989), et serait le fait d’un groupe obscur de créationnistes américains « intégristes ». Avant leur apparition, le récit de la Genèse n’aurait pas été compris par l’Eglise suivant le sens littéral et chronologique « étroit » de six jours de 24 heures. Ils innoveraient donc totalement en introduisant leur propre interprétation de la Genèse.

Cette affirmation est, bien sûr, totalement erronée, l’interprétation historique, littérale de la Genèse étant l’interprétation traditionnelle soutenue majoritairement par l’Eglise tout au long des siècles avant sa remise en cause pendant le siècle de Darwin.

(ii) Par leur hyperlittéralisme, ces néo-créationnistes ne respecteraient en rien ni l’esprit des rédacteurs de la Bible, ni les principes herméneutiques, ramenant toute la Bible à une compréhension uniquement littérale, sans distinguer les différents genres littéraires.

Il est ici évident que Jean Humbert n’a étudié le texte biblique que très superficiellement, car les meilleurs spécialistes et érudits hébraïsants reconnaissent, comme l’admet William Dembski, que le seul sens permis par une exégèse attentive de la Genèse et une herméneutique respectant l’analogie de la foi est celui de six jours littéraux [6]. Par ailleurs, il est parfaitement erroné d’affirmer que les partisans américains d’une Terre jeune ignorent tout des genres littéraires et du symbolisme dans la Bible. Une lecture symbolique ou poétique ou analogique est autorisée lorsque le texte l’y autorise, et les « néo-créationnistes » américains acceptent sans problème les méthodes d’analyse historico-grammaticale du texte sacré pour déterminer les genres littéraires [6]. L’affirmation de Jean Humbert n’est rien d’autre qu’une caricature insoutenable qui ressemble étrangement à la prose journalistique si farouchement anticréationniste et antiaméricaine de la bien-pensance française de ces dernières années.

(iii) Jean Humbert attribue également aux néo-créationnistes américains l’idée que c’est le péché d’Adam qui a provoqué la malédiction et la mort s’introduisant dans une création bonne et parfaite, car suivant la conception évolutionniste qui est la sienne, la mort était présente dans la création des millions d’années avant l’apparition de l’homme.

Plus loin dans son livre, Jean Humbert, dans un résumé de ce qu’il appelle « le scénario néo-créationniste », écrit :

« Adam et Eve vivent dans le jardin d’Eden. Ils succombent à la tentation. Leur chute a pour conséquence la malédiction de Dieu qui s’abat sur eux et sur toute la Création qui s’en trouve faussée : la violence y fait son apparition, le sol produit de mauvaises herbes, la mort apparaît.
Le péché poursuit son œuvre… » (p.143.)

Mais alors l’apôtre Paul et les Pères de l’Eglise étaient tous des « néo-créationnistes » intégristes avant l’heure, car ce scénario « naïf » était bien cru par ces derniers ! Nulle part dans son livre, Jean Humbert ne prend même la peine de proposer une théodicée à partir de son interprétation des Ecritures dans une perspective évolutionniste. Nulle part, il ne nous dit comment et pourquoi la mort serait présente dans la création avant la Chute, et comment cette doctrine peut être soutenue par les Ecritures. Au lieu de cela, il dénigre le sens obvie des Écritures d’un revers de main rapide en appelant « naïve » cette lecture classique (p. 21.) et en accusant les chrétiens fidèles qui la soutiennent de distordre le sens des Écritures. Il est clair, à la lecture de son livre, que l’auteur n’attache aucun soin méticuleux à extraire des Écritures leur substantifique moelle : la Bible est bâillonnée tout simplement, elle est réinterprétée sans scrupules, livrée entre les mains de spécialistes scientifiques. Il nous entraîne ainsi sur les sables mouvants des « vents de doctrine » dont nous met en garde l’apôtre Paul.

Il est grandement significatif qu’après avoir attaqué de façon très déloyale, dénigré et tourné en dérision la position « hyperlittéraliste » des « néo-créationnistes » à travers tout son livre, avançant l’idée que ceux-ci ont introduit une interprétation nouvelle, fausse et falsifiée de la Genèse, Jean Humbert finit par faire une concession de taille dans sa conclusion. La voici :

« A côté de l’herméneutique traditionnelle de la Genèse, inspirée par le littéralisme, il y a place pour une herméneutique renouvelée » (p.210) [c’est nous qui soulignons].

Ceci tient lieu d’un aveu grandiloquent qui vient contredire toutes les affirmations rapides, relevées précédemment, de l’auteur au sujet de l’hérésie du « littéralisme » : Jean Humbert reconnaît, en définitive, à demi-mots, que l’interprétation littérale de la Genèse faisait partie intégrante de l’herméneutique traditionnelle. Qui, parmi ses lecteurs auront entr’aperçu cette confession lapidaire et bien discrète ?

Il est navrant de constater combien l’esprit du siècle et la sagesse de l’homme peuvent amener à une telle dépréciation du sens des Écritures, et comme conséquence, à une telle inversion du jugement moral, faisant passer les « néo-créationnistes » pour des falsificateurs de la Parole de Dieu alors qu’ils ne font que défendre la lecture classique et traditionnelle de la Genèse de manière à affirmer, haut et fort, l’autorité de la Bible, et ainsi la cohérence de tout son enseignement, de la création à la rédemption, en passant par la Chute.

Le prix à payer pour harmoniser la Genèse avec les longues ères géologiques de la science moderne me paraît, personnellement, trop élevé : je ne peux accepter une telle distorsion de la signification théologique fondamentale des Écritures, en abandonnant la nécessité, comme l’Écriture l’enseigne, de faire remonter la mort animale et humaine à la Chute, point d’ancrage fondamental de toute théodicée, abandon qu’imposerait l’acceptation d’une création s’étalant sur des millions d’années, qu’elle soit associée ou non à un schéma transformiste.

En conclusion, je préfère choisir de paraître, en reprenant les termes de William Dembksi, « hérétique » par rapport à l’orthodoxie scientifique du jour, plutôt que d’être considéré par le divin Auteur de la Parole sacrée, devant lequel tous devront rendre compte, comme hérétique par rapport à la foi transmise une fois pour toutes aux saints. Je préfère être fidèle au Seigneur en conservant jalousement le mystère et l’orthodoxie de la foi, quitte, aujourd’hui, à devenir un martyr en science. Et je sais qu’il viendra un jour, un jour proche, où Dieu justifiera sa Parole de façon indubitable, quand la véritable science se soumettra enfin au Dieu de la création tout entière et à sa Parole infaillible.

Notes :
1. Gertrude Himmelfarb (1959). Darwin and the Darwinian Revolution, New York : Norton, p. 385. Cité par Jean-Marc Berthoud dans “Pourquoi la doctrine biblique de la création est-elle si importante ?”, Création, Bible et Science – Les fondements de la métaphysique, l’œuvre créatrice divine et l’ordre cosmique, L’Âge d’Homme, collection Messages, Lausanne, Suisse, 2008, chapitre XIII, p. 265-274.
2. William Dembski: Christian Theodicy in Light of Genesis and Modern Science, School of Theology Southwestern Baptist Theological Seminary Fort Worth, Texas 76115, USA, version 2.3, 15 mars 2007.
3. Jean Humbert (1989). Création – Evolution : Faut-il trancher ? Paris : Sator. Préface d’Henri Blocher.
4. Larry Vardiman, Andrew A. Snelling, et Eugene F. Chaffin, éditeurs (2000). Radioisotopes and the Age of The Earth – A Young Earth Creationnist Research Intitiative. El Cajon, California, USA : ICR, première impression.
5. Ariel Roth (2000). Origines – Au carrefour entre la Bible et la science. Editions Vie et Santé, première édition.
6. Terry Mortenson et Thane H. Ury, éditeurs (2008). Coming to Grips with Genesis: Biblical Authority and the Age of the Earth. New Leaf Publishing Group.
7. “Le concordisme”, août 2009. Article non imprimé. L’anonymat de l’auteur est conservé.
8. Theodosius Dobzhansky, “Nothing in biology makes sense except in the light of evolution”, The American Biology Teacher 35:125-129. Cité dans Ariel A. Roth (2000). Origines – Au carrefour entre la Bible et la science. Éditions Vie et Santé, p. 343.