Le darwinisme tient-il debout ? Une revue critique par David L. ESPESSET
B&SD : Nous sommes heureux de présenter ci-dessous une revue critique approfondie du livre Le darwinisme tient-il debout ? d’Arthur Demongeot par David L. ESPESSET, chercheur indépendant, qui n’est pas chrétien, mais se définit comme sans confession religieuse, ce qui rend sa recension d’autant plus intéressante. C’est avec la marque d’une profonde reconnaissance que nous saluons son travail d’analyse qui est remarquable en tous points de vue. Remarquable d’abord par l’esprit qui le sous-tend : la recherche de la vérité et le désir de dialogue et de débat qui ont amené l’auteur à se pencher, avec une rare ouverture d’esprit, une grande honnêteté intellectuelle et avec objectivité, sur des thèses non darwiniennes et mises au rebut par l’établissement scientifique sous l’appellation de « créationnisme », mot agité comme un épouvantail pour étiqueter comme non scientifique toute explication de l’origine et de la complexité du vivant faisant intervenir une création intelligente et intentionnelle au lieu du couple darwinien mutations aléatoires / sélection naturelle. En France tout particulièrement, extrêmement rares sont les scientifiques qui font preuve d’un tel esprit bienveillant, ouvert à la discussion et non dogmatique, et critique vis-à-vis des dogmes établis, alors qu’une telle disposition devrait caractériser l’entreprise scientifique tout entière et les scientifiques eux-mêmes. En conséquence, l’hypothèse même de la création a été mise à l’index, et ses défenseurs persécutés dans le monde scientifique, médiatique et politique, brûlés vifs sur le bûcher de l’orthodoxie du jour. David ESPESSET, en acceptant d’examiner l’hypothèse de la création divine et, par conséquent, les failles du darwinisme et les limites de la science, montre qu’il existe encore des hommes à la fois courageux, vertueux et ayant une raison droite qui ne veulent pas se laisser brider ni intimider par les pressions idéologiques et socioculturelles en place qui écrasent le sujet sous une omerta suffocante. Sa volonté de dialogue ouvre la voie à un échange fructueux entre scientifiques animés de convictions différentes, et à une discussion ouverte, publique, utile et hautement nécessaire sur l’évolution et la création. Ce travail de recension est remarquable ensuite parce qu’il témoigne d’une prise de recul, elle aussi très rare, face à l’approche trop monolithique et monopolistique de la science telle qu’elle est pratiquée par la communauté scientifique et présentée au public non initié. Ce recul permet à l’auteur d’inclure dans sa réflexion des références inhabituelles comme Rupert Sheldrake, et de présenter une synthèse passionnante des diverses voies disponibles. Certes, nous ne partageons pas un certain nombre de ses idées sur la foi chrétienne et les options d’interprétation du Texte sacré qu’il suggère, ni son verdict sur les thèses relevant du dessein intelligent, – le site B&SD présente beaucoup de ressources et d’arguments en faveur de la création et de la compréhension traditionnelle de la Genèse -, mais pour l’heure nous voulons nous attacher davantage à l’apport considérable de l’auteur dans sa mise en lumière du scientisme et des failles énormes du darwinisme, choses qui sont encore inconnues du public.
Par David L. ESPESSET
Références de l’ouvrage :
Titre complet : Le darwinisme tient-il debout ? Synthèse scientifique et philosophique sur la controverse évolutionnisme / Création » ; 2019.
Auteur : Arthur Demongeot, Docteur en biologie.
Éditeur : Édition des Cimes, Paris ; Collection « Sophia ».
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INTRODUCTION
En écrivant une critique constructive et compréhensive d’un livre qui défend les thèses créationnistes, je m’expose à une vindicte de la part de nombreux auteurs scientifiques conventionnels. J’assume pleinement le fait d’avoir lu cet ouvrage in extenso, de l’avoir trouvé intéressant, souvent passionnant, quelques fois déroutant. Sans pour autant me mener à adhérer aux thèses créationnistes ni à renier ma formation scientifique, une telle publication présente toutefois pour moi le mérite de jeter un sérieux doute quant aux conclusions généralement acceptées par la science orthodoxe et une partie importante du grand public.
Ce livre s’attaque en effet à un sujet extrêmement délicat : la controverse entre évolutionnisme et créationnisme, et plus précisément entre darwinisme et créationnisme – en défendant le point de vue créationniste. Dans un état d’esprit ouvert et apaisé – à l’opposé de bien des « ultra-darwinistes »[1] –, Arthur Demongeot présente les arguments scientifiques d’une part, créationnistes d’autre part, afin d’établir une mise en parallèle et une comparaison.
Trop souvent, les objections anticréationnistes (ou prétendues telles[2]) sont formulées avec dédain et mauvaise foi, leurs auteurs, qui souvent tout simplement ignorent les thèses créationnistes, se contentant fréquemment d’avancer des arguments scientifiques que, justement, les créationnistes réfutent. On pourra toujours dénoncer l’aveuglement intellectuel des premiers ou le dogmatisme des seconds (ou vice-versa.) Je note que si les scientifiques étaient si sûrs de leurs conclusions, les « attaques » créationnistes devraient tout simplement être considérées comme nulles et non avenues et, en conséquence, rester lettre morte.
Globalement, cet ouvrage, bien construit, apporte des arguments intéressants en faveur de la thèse créationniste. Je précise que je ne soutiens pas le créationnisme et que je ne suis pas forcément d’accord avec cette explication du monde, mais la rhétorique proposée me semble acceptable dans une conception « ouverte » des choses ; d’un point de vue strictement scientifique, si la prise de position antidarwinienne me semble très pertinente, en revanche, certains points sont très contestables. En effet, l’essentiel de l’argumentaire de Demongeot se résume comme suit : comme le darwinisme, pétri de contradictions, d’incohérences, de considérations métaphysiques et idéologiques (ce qui est inacceptable pour une théorie scientifique), doit être rejeté (et certaines de ces remarques sont très justes), alors la théorie créationniste est forcément vraie – conclusion hâtive et difficilement acceptable en l’état.
En ce qui concerne les objections antidarwinistes, Demongeot a clairement réalisé un profond travail de lecture et de réflexion critique, car les arguments qu’il apporte se recoupent avec, ou sont basés sur, un certain nombre de livres écrits ces dernières années et qui remettent en cause le darwinisme de façon insistante. Cet ouvrage pourrait s’intituler « Manuel d’antidarwinisme scientifique et philosophique ».
Bien que n’étant pas spécialiste du domaine, je constate qu’un certain nombre d’idées développées par Demongeot sur la foi sont des plus intéressantes, et devraient être prises en compte par nombre de personnes pour éviter les dénigrements inopportuns et expéditifs.
L’analyse de « l’aspect idéologique de la controverse » (Troisième partie du livre) est particulièrement pertinente.
La dernière partie, « Libérer la Science », également très convaincante, est à rapprocher du travail exposé par Rupert Sheldrake dans Réenchanter la science[3]. En particulier, la réforme de l’enseignement que propose l’auteur, véritablement révolutionnaire, est extrêmement stimulante, mais bien utopique, il faut le reconnaître, vu la conception étriquée et réductionniste de la transmission du savoir en France.
L’ARGUMENTAIRE ANTIDARWINIEN
L’argumentaire antidarwinien de Demongeot est à rapprocher de mon article « L’évolution biologique : vers une nouvelle synthèse conceptuelle étendue pour le XXe siècle[4] ». Il peut être résumé par les quelques points suivants :
- Le darwinisme n’est pas une théorie scientifique, mais est maintenu comme telle de façon artificielle et dogmatique[5].
- Cette théorie est basée sur un certain nombre de considérations philosophiques, métaphysiques, voire idéologiques[6].
- La vision darwinienne du monde est à l’origine d’un véritable endoctrinement, voire d’un aveuglement intellectuel, que ce soit au sein de la communauté scientifique ou auprès du grand public[7] : le monde vivant peut (presque) entièrement être expliqué par l’occurrence de mutations ponctuelles aléatoires à l’origine d’une variabilité (polymorphisme) qui est « triée » par l’action de la sélection naturelle. Dans cette perspective, toute l’évolution se résumerait à une question d’adaptation (programme dit « adaptationniste », pourtant critiqué par de nombreux darwinistes[8].)
- La prétendue puissance novatrice de la « sélection naturelle cumulative »[9] est une pure croyance qui relève plus de la pensée magique que du mécanisme prouvé et vérifié : il n’existe en fait aucune preuve empirique véritable que l’histoire du vivant et son évolution sont bien dues à cette action[10].
- Cet endoctrinement est à l’origine de la mise en place d’une véritable censure inquisitrice laïque, qui permet à la théorie darwinienne de jouir d’une immunité intellectuelle telle qu’il est virtuellement interdit de la critiquer (sous peine de se retrouver banni de la communauté scientifique)[11] : ainsi, il est extrêmement difficile aux auteurs contestataires de pouvoir publier leurs idées – à l’opposé d’une vision démocratique de la science (oxymore.)
L’ARGUMENTAIRE CRÉATIONNISTE
Un premier obstacle à franchir est la notion de « science créationniste ». En effet, pour beaucoup de scientifiques, cette expression n’a pas de sens puisque la science ne peut prendre en compte les entités non matérielles quelles qu’elles soient. Ceci dit, je suis personnellement tout-à-fait prêt à accepter l’idée que des chercheurs travaillent à la fois sur des résultats scientifiques et des considérations religieuses, dans le but de concilier les deux : à ce titre, ce sont bien des « scientifiques créationnistes ». Impossibilité épistémologique, réagiront certains, voire corruption du processus de recherche scientifique. Pourquoi ne pas essayer d’aller plus loin ? D’étudier ce que les créationnistes ont à dire – en évitant un rejet péremptoire et immédiat[12] ?
Il est clair qu’à l’instar de l’évolutionnisme l’argumentaire créationniste présente un certain nombre de failles, et que l’enthousiasme de Demongeot le conduit parfois à conclure trop vite. Toutefois, l’état d’esprit de l’auteur présente l’avantage d’être particulièrement honnête, notamment lorsqu’il reconnaît que l’hypothèse d’une intervention divine n’est pas prouvée (p. 387.)
Les controverses scientifiques
Le texte de Demongeot fait montre d’une grande lucidité quant aux limites de la science. L’auteur cite de nombreuses controverses scientifiques sur les points suivants :
- Le nominalisme qui affirme, par exemple, que les espèces n’existeraient pas dans la nature et ne seraient que des constructions intellectuelles reposant sur des conventions de langage (rejet de l’essentialisme) : il en résulte, indirectement, un flou très important quant à la définition d’une espèce biologique, concept pourtant central du darwinisme.
- Les ancêtres communs postulés par la théorie seraient purement imaginaires, ce qui explique, logiquement, leur absence du registre fossile (le fait qu’ils soient hypothétiques ne devrait pas empêcher d’en retrouver au moins un certain nombre.)
- Le fait que toutes les formes de vie actuelles dériveraient d’un dernier ancêtre commun unique hypothétique (LUCA) est remis en cause : en fait, il y aurait plusieurs ancêtres (voir l’idée que l’« arbre de la vie » aurait plutôt la forme d’un rhizome[13], par exemple.)
- Le fait que les êtres vivants auraient contenu, depuis très longtemps, certaines potentialités génétiques pouvant fournir de nombreuses combinaisons de caractères, concept à rapprocher de la notion d’inhérence développée par Simon Conway Morris[14].
- L’idée d’une évolution ciblée (p. 126), téléologique, orientée vers un but, dirigée par des causes finales, est très généralement violemment rejetée par la vision darwinienne ; toutefois, un certain nombre d’auteurs remettent en cause cette vision en prônant une dimension téléologique du processus évolutif (la sélection naturelle serait, dans cette optique, « naturellement » téléologique[15]), voire du vivant lui-même[16].
- La défense d’une vision organismique du vivant, à l’opposé de l’extrême réductionnisme de la biologie en général et du darwinisme en particulier (p. 132 ; la vision la plus réductionniste est celle de Richard Dawkins[17] et des gènes « égoïstes », mais Momme von Sydow s’emploie à démonter cette conception des choses[18].)
- La remise en cause de certains préceptes couramment acceptés en sciences géologiques, tels que le mal nommé actualisme (traduction littérale du mot anglais, ce qui n’a pas de sens puisque « actual » signifie « réel » et non pas « actuel ») en faveur du catastrophisme (curieusement rejeté[19] alors que l’histoire du vivant est émaillée d’un certain nombre d’épisodes appelés « crises biologiques » dont certaines sont « majeures ») et une réinterprétation originale et quelque peu dérangeante de l’aspect lacunaire du registre fossile.
- En opposition avec les durées extrêmement longues habituellement avancées par rapport aux temps géologiques, l’auteur propose une vision saisissante et bien plus rapide des événements géodynamiques externes (dépôts de strates sédimentaires, fossilisation ; pp. 102-108) qui rappelle les controverses mises en évidence par Richard Milton[20] au sujet des méthodes de datations dites « absolues » : ainsi, l’histoire géologique (et, par conséquent, biologique), au lieu de s’étaler sur des milliards d’années, se réduirait à des périodes sensiblement plus courtes, se chiffrant « seulement » en centaines de millions d’années[21] (en revanche, l’idée que ces durées pourraient n’être que de quelques jours me paraît beaucoup plus difficilement acceptable – le remplissage de la Méditerranée il y a 5,3 millions d’années aurait pris deux ans, et celui de la Manche, il y a quelques centaines de milliers d’années, seulement quelques mois, ce qui est déjà très court.) Ainsi, l’histoire du vivant aurait été notablement plus courte que dans la vision standard, en opposition avec les durées extrêmement longues nécessaires à l’évolution graduelle darwinienne (pp. 144-148.)
- L’idée que le processus évolutif serait bien plus limité que perçu dans les milieux évolutionnistes semble évidente. Notamment, l’évolution se ferait sous l’emprise de contraintes de tous ordres (physico-chimiques, embryologiques, phylogénétiques, etc.[22]), ce qui « empêcherait » l’apparition de très nombreux phénotypes dits « interdits » car impossibles à réaliser (à ne pas confondre avec des phénotypes tout simplement absents).
- L’étonnante stabilité des espèces[23] (pp. 166-168), en relation avec l’idée que la sélection naturelle ne saurait être un processus évolutif novateur, incapable de mener à l’apparition de nouveaux organes.
- L’inadéquation entre le registre fossile (à la fois très incomplet et témoignant de la stabilité des espèces fossiles), les prédictions évolutionnistes darwiniennes et la reconstitution de l’histoire de la vie (pp. 168-172.)
- L’existence d’espèces n’ayant pratiquement pas évolué (au moins dans leur phénotype extérieur) depuis des dizaines, voire des centaines de millions d’années (pp. 172-175), amenant à se réinterroger sur la notion de « fossile vivant ».
- Les difficultés de l’explication de l’apparition de nouveaux caractères par sélection naturelle cumulative, le très grand nombre de « formes intermédiaires » forcément fonctionnelles, leur nécessaire avantage évolutif, ainsi que la coévolution d’autres caractères, le tout ayant un retentissement sur l’intégralité de l’organisme vivant (pp. 175-180.)
- La notion de « complexité irréductible » qui, si elle ne doit pas être généralisée à tous les systèmes complexes, semble pourtant bien être une composante fondamentale d’un certain nombre d’entre eux (pp. 180-183 ; exemple de l’œil, pp. 215-218.)
- Les gènes dits « orphelins », pour lesquels il est impossible de retracer une quelconque filiation et qui s’avèrent non seulement être associés à des fonctions biologiques, mais sont de plus omniprésents chez les organismes (pp. 189-195.)
- Certains faits considérés comme des « preuves de l’évolution en marche » et qui ne semblent en fait représenter que des pertes d’information, de structure et de fonction (ce qui est tout de même perçu par les darwinistes comme des « faits » d’évolution, car un simple changement populationnel est considéré comme de l’évolution par définition), à l’instar de l’acquisition de résistances aux antibiotiques chez certaines bactéries (pp. 195-198), les atavismes (pp. 208-210) ou les « expériences d’évolution à long terme » (pp. 198-202.)
- Dans le même ordre d’idées, certaines prédictions « évolutionnistes » se sont ensuite avérées fausses, comme les organes dits « vestigiaux » (pp. 210-212) ou l’ADN dit « poubelle » (pp. 212-214.)
- La conception de la sélection naturelle comme « force créatrice », capable d’expliquer tout et son contraire (position fondamentalement inattaquable), est une pure construction mentale qui relève purement de l’imagination et de la pensée magique sans aucun rapport avec la réalité factuelle du monde vivant ni l’expérience concrète qu’on peut en avoir.
La complexité irréductible, irréductible controverse
La notion de complexité irréductible me semble particulièrement représentative de l’incompatibilité (apparente selon moi) entre darwinistes et créationnistes :
- L’argument consiste à prendre en considération l’immense complexité du vivant, sa très haute improbabilité, pour affirmer que les organismes n’ont pas pu apparaître par le hasard d’innombrables mutations ponctuelles et ont été, d’une manière ou d’une autre, l’objet d’une création.
- Le contre-argument consiste à affirmer, péremptoirement, que la sélection naturelle cumulative, véritable force créatrice naturelle, suffit amplement à rendre compte du vivant et de sa complexité – donc point de création. Les créationnistes feraient simplement preuve d’ignorance vis-à-vis de la puissance de la théorie darwinienne – autrement dit, s’ils la connaissaient mieux, ils abandonneraient, forcément, leur point de vue[24].
D’après moi, les deux arguments sont insuffisants :
- L’affirmation créationniste est trop opportuniste, faisant intervenir le « God-of-the-gaps[25] » à l’œuvre dès que la science semble prise en défaut (même dans l’hypothèse, que je défends, où la sélection naturelle cumulative ne peut rendre compte de toute la complexité du vivant, cela ne signifie pas pour autant qu’il y a eu création.)
- La contre-objection darwiniste est essentiellement axée sur la croyance selon laquelle la sélection naturelle cumulative, véritable « providence laïque[26] » remplaçant finalement la « providence divine », serait la réponse incontournable, évidente, à laquelle toute personne suffisamment rationnelle devrait souscrire – argument circulaire s’il en est, puisque c’est justement ce que les créationnistes rejettent. De façon plus générale, les scientifiques ont trouvé le moyen, bien pratique, de démontrer que, selon leurs propres critères, les positions créationnistes n’étaient, tout simplement, pas scientifiques (et, même si elles ne le sont pas, cela n’empêche absolument pas de les prendre en compte.)
Si certains systèmes complexes peuvent sans doute être expliqués par l’action de la sélection naturelle cumulative (comme la mise en place progressive des voies métaboliques, en relation avec les molécules présentes, ou non, dans le milieu, en fonction du temps), on peut toutefois douter de la toute-puissance et de l’unicité de ce mécanisme comme étant à l’origine de l’intégralité de la complexité du vivant. Il me semble que, dans certains cas, la complexité biologique est, réellement, irréductible (les darwinistes ne peuvent arriver qu’à la conclusion opposée puisque le paradigme darwinien – malgré les doutes de Darwin lui-même – est centré exclusivement sur la sélection naturelle.)
Des concepts apparemment mal compris
Au-delà des controverses scientifiques basées sur des considérations bien réelles, Demongeot semble, dans certains cas, rester confus quant à certaines notions :
- Alors qu’une distinction est tout d’abord établie entre évolution et évolutionnisme (p. 26) dans le sens de darwinisme, indispensable tant évolution et darwinisme sont quasiment devenus synonymes, l’auteur semble ensuite, parfois, confondre les deux. En tant que fait, mais surtout comme propriété intrinsèque du vivant, l’évolution est difficilement contestable, même si le sens de ce mot peut être discuté : sens darwinien d’évolution créatrice, ou sens de déroulement ou de développement (p. 349), à rapprocher du « déploiement de la logique du vivant » défendu par Bertrand Louart[27] ; ce qui pose largement problème, en revanche, c’est l’explication du processus évolutif (darwinisme, créationnisme ou autre.) Cela en revient à la distinction, fondamentale, entre fait et théorie : un fait, observé (naturel ou expérimental), est considéré comme objectif, tandis qu’une théorie, modèle interprétatif, peut susciter objections et controverses (ce qui est une composante incontournable de l’investigation scientifique « normale ».) Ainsi, remettre en cause le darwinisme est une chose (saine critique d’une théorie), remettre en cause l’évolution en est une autre, difficilement défendable.
- L’idée que l’évolution serait « anarchique » et totalement sous l’emprise du hasard. Certes, la notion de hasard est omniprésente dans la théorie darwinienne ; toutefois, la sélection naturelle est considérée comme déterministe (certains auteurs y voient même une dimension téléologique[28]) car menant à des adaptations aux conditions environnementales (pourtant aléatoires, par ailleurs.) Ainsi, la sélection naturelle cumulative est considérée comme une force qui limite, contraint le hasard aux seules mutations bénéfiques, les autres étant éliminées[29] (cette vision du processus évolutif pose néanmoins de nombreux problèmes.)
- L’auteur reconnaît l’omniprésence de la convergence évolutive (pp. 244-249), à tous les niveaux d’organisation du vivant[30], y compris au niveau de l’ADN ; il précise que, dans la perspective darwiniste, cette convergence, qui s’oppose fondamentalement à la théorie, s’explique pourtant par l’action de la sélection naturelle dans des conditions environnementales similaires[31]; puis, il critique l’idée de convergence, confondant apparemment le fait (la convergence) et l’explication traditionnelle de ce fait (la sélection naturelle darwinienne.) De fait, la convergence peut très bien s’expliquer différemment, par la mise en œuvre de lois naturelles structurales en lien avec des propriétés intrinsèques à la matière vivante, sans aucune considération adaptative (comme le dit Michael Denton[32], l’apparition des grands « types » primordiaux ne relève pas d’une explication adaptative.)
- Le fait que des organismes puissent s’adapter très rapidement à de nouvelles conditions (p. 126) ne signifie pas pour autant que leur évolution soit « préprogrammée » dès leur origine. Certes, dans un certain nombre de cas, il s’avère que des mutations permettent à des séquences d’ADN, jusque-là « muettes », de s’exprimer et d’aboutir à des innovations phénotypiques spectaculaires, mais il y a une importante différence entre des potentialités génétiques et une préprogrammation.
- Demongeot pense que les transferts latéraux de gènes (pp. 249-254) sont trop anecdotiques pour avoir joué un rôle évolutif significatif. Il semble pourtant reconnaître que l’histoire évolutive n’est pas linéaire et que l’« arbre de la vie » doit alors plutôt ressembler à un réseau (p. 250), pour ensuite indiquer qu’il n’y a aucune raison de penser que ces transferts soient suffisamment répandus dans le monde vivant pour avoir eu une influence manifeste dans l’évolution du vivant (pp. 251, 253.) Il ignore, semble-t-il, les connaissances reprises dans des ouvrages comme Les gènes voyageurs[33], qui donne un aperçu plutôt complet de la question. D’autre part, Eugene Koonin[34] présente l’idée que « le darwinisme ne s’applique pas au monde microbien[35]» et l’évolution des Procaryotes comme étant due essentiellement à des transferts horizontaux de gènes.
- Demongeot semble confus au sujet de la notion de complexité : il commence par affirmer que le darwinisme sous-tend l’idée d’une complexification du vivant[36], ce qui est contraire à l’idée développée par Stephen Jay Gould[37] et intégrée dans la Synthèse Moderne. Prenant parti contre l’idée d’une complexification du vivant, il se base sur le fait que même les organismes les plus simples sont déjà très complexes, que le processus évolutif ne peut être à l’origine de l’ajout d’information génétique nouvelle et originale, et que la sélection naturelle provoque majoritairement des pertes d’information. Il ne voit pas que la complexité se manifeste à tous les niveaux d’organisation du vivant, et notamment du phénotype, dont la complexification n’est pas forcément due à une quelconque complexification du génotype (très souvent, il s’agit de réorganisations de l’information génétique, de changements au niveau de la régulation de son expression, qui mènent à l’apparition d’innovations.) La démonstration de Demongeot constitue l’un des exemples pour lesquels l’auteur n’est guidé que par la seule conclusion à laquelle il veut impérativement arriver : l’idée d’une conception du vivant (incompatible avec l’idée d’une complexification.)
- Le concept d’hypothèse ad hoc semble aussi poser problème. Ce genre d’hypothèse « arbitraire » est introduit pour « sauver » un modèle explicatif ou une théorie en compensant certaines anomalies qui risqueraient de le/la falsifier (au sens de Popper.) Mais des hypothèses de ce type peuvent également être introduites en toute légitimité dans le cas de l’émergence de nouvelles théories, encore incomplètes et pour lesquelles des données ou des résultats manquent. La différence est très subtile et il est aisé de confondre les deux situations. C’est ce que semble faire Demongeot dans un certain nombre de cas.
- Notamment, au sujet des crises biologiques majeures, Demongeot affirme que des éruptions volcaniques géantes ou des impacts de météorites gigantesques sont des hypothèses ad hoc purement spéculatives (p. 262.) Pourtant, de nombreux et solides arguments sont présentés, par exemple, par le géophysicien Vincent Courtillot dans son ouvrage Nouveau voyage au centre de la Terre, qui établit clairement un parallèle entre l’activité géologique du globe terrestre et ces crises biologiques qui ont émaillé l’histoire du vivant. À moins de remettre en cause les sciences géologiques de fond en comble (on peut effectivement avoir des doutes quant au très grand âge de la Terre et à la fameuse « échelle des temps géologiques »), il me semble impossible de nier l’existence de ces périodes de « destructions massives » – et ce d’autant plus que le Déluge biblique en présente un certain nombre de caractéristiques.
- Demongeot affirme que l’évolutionnisme a transposé le mythe du progrès dans la nature (p. 280) : cette affirmation est en contradiction flagrante avec la position de Stephen Jay Gould[38], résolument contre l’idée que l’évolution corresponde à un quelconque progrès – notion complètement intégrée dans l’évolution darwinienne. Les organismes, imparfaits, se contentent de s’adapter (ou pas) aux conditions environnementales, ce qui conduit à leur survie (ou à leur disparition.) L’idée d’une émancipation croissante du vivant vis-à-vis de l’environnement, d’une augmentation de son autonomie, de sa liberté, échappe totalement à cette vision des organismes réduits à des véhicules n’ayant pour finalité ultime que la transmission de leurs gènes « égoïstes ». En fait, le darwinisme est incapable de concevoir l’évolution comme un progrès, car cette théorie ignore complètement la dimension organismique de l’évolution (elle considère les êtres vivants comme des entités passives, des abstractions, véritables mosaïques de caractères indépendants[39]), qui devrait être vue, essentiellement, comme le déploiement de la logique du vivant[40].
- Demongeot affirme que « l’homme n’est pas conçu génétiquement pour mourir » et qu’« il n’existe pas de programmation induisant cela » (p. 91) : au-delà de l’usure « mécanique » qu’il mentionne, il semble ignorer l’existence de mécanismes génétiques responsables du vieillissement (notamment le raccourcissement des télomères des chromosomes) donc, indirectement, de la mort.
- L’idée qu’un seul couple puisse être à l’origine de l’humanité (p. 91) est incompatible avec les connaissances en génétique à cause des problèmes de consanguinité dès la première génération (l’humanité dériverait d’un groupe de quelques dizaines d’individus au minimum.) À cet égard, l’idée que le génome d’Adam et Ève, parfait, aurait permis de contourner ce problème, est un bon exemple d’hypothèse ad hoc non documentée (d’autant plus qu’il est possible de concevoir Adam et Ève non comme des personnes physiques, mais comme symboles de notre origine humaine) ; – Contrairement à ce qu’affirme Demongeot, il existe un certain nombre d’alternatives scientifiques au darwinisme ; je citerai par exemple :
- l’écologie évolutive[41], défendue par Thierry Lodé (notamment dans sa théorie dite des « bulles libertines[42] ») ;
- la théorie de la « résonance morphique » de Rupert Sheldrake[43] ;
- certaines interprétations téléologiques des organismes vivants, vus notamment comme des entités sentientes[44] sous l’emprise d’une causalité circulaire due à une clôture organisationnelle[45] ;
- certains aspects de la Synthèse Évolutive Étendue (Extended Evolutionary Synthesis), comme par exemple la Théorie de la Construction de Niche[46] ;
- une approche dialectique de l’évolution[47].
Des hypothèses gratuites
L’argumentaire créationniste de Demongeot contient un certain nombre d’hypothèses dites « ad hoc non documentées » qui fragilisent sa démonstration. S’il est exact que l’argumentaire évolutionniste scientifique en contient également, et qu’une hypothèse gratuite n’est pas forcément fausse, on considère que toute hypothèse doit être formulée sur la base d’un certain nombre de fondements et de constatations. En outre, le raisonnement de Demongeot est parfois circulaire : l’hypothèse qu’il propose pour expliquer tel ou tel fait correspond exactement à ce qu’il cherche à démontrer. Bref, à ce niveau, darwinisme ou créationnisme, même combat. Par exemple :
- « […] un scientifique […] ne peut prétendre que, puisque Dieu n’existe pas, l’évolution est vraie » (p. 20) : cet argument, extrêmement juste, est même à la base des controverses au sujet des origines idéologiques du darwinisme. En revanche, l’argument selon lequel « […] admettre la faillite du darwinisme revient à valider l’existence du Créateur […] » (p. 13) n’est pas recevable. En effet, si une théorie scientifique doit être rejetée, elle peut – et doit – aussi être remplacée par une autre théorie scientifique – sans aucune conséquence quant à l’existence (ou inexistence) d’un Créateur. On a ici affaire à un raccourci intellectuel inacceptable.
- L’apparition de l’homme il y a quelques dizaines de milliers d’années (p. 141 ; reste à savoir, il est vrai, ce que l’on entend par « homme » : l’espèce Homo sapiens ? Le genre Homo ? L’homme « moderne » sédentaire et cultivateur ?)
- L’immortalité d’Adam et Ève (p. 91), impossibilité physiologique intrinsèque au vivant (de plus, qu’est-ce que l’immortalité ? Un vieillissement éternel ou une éternelle jeunesse ?)
- Le fait que le génome d’Adam et Ève aurait été pur, parfait, dénué de toute tare, d’où l’absence de problème lié à la consanguinité (pp. 137-138 ; cette hypothèse colle trop à l’idée d’une Création parfaite.)
- Le fait qu’à l’origine tous les animaux étaient herbivores (p. 91), vision naïve d’un monde sans violence ni souffrance. Toutefois, il faut bien réaliser que, lorsqu’un animal se nourrit de végétaux, il les détruit en partie ou en totalité (tout être vivant, en se nourrissant, profite, directement ou indirectement, de la mort ou de l’exploitation d’autres organismes.)
- La notion d’évolution régressive ayant mené à la dégénérescence du génome des organismes, d’où l’apparition d’anomalies, de maladies génétiques et autres cancers (p. 135) : ces « tares » ne sont pas forcément la conséquence d’une dégénérescence « généralisée » et ont sans doute toujours existé.
- S’il est vrai qu’on peut envisager que le génome des organismes ait été pourvu de potentialités bien avant leur apparition, en revanche imaginer que toutes les innovations évolutives aient préexisté de la sorte est très largement exagéré (voir p. 127) : en effet, le génome, étant forcément limité, ne pourrait contenir autant d’information.
- L’idée que les premiers hommes auraient possédé un grand savoir technique aujourd’hui oublié, et auraient été supérieurs aux hommes actuels : cela semble très exagéré. Que quelques-uns d’entre eux aient été dépositaires de connaissances très en avance sur leur temps, pourquoi pas. D’autre part, les hommes actuels ne peuvent être considérés comme plus intelligents que leurs ancêtres « préhistoriques » de la même espèce. Certaines constructions très anciennes, comme les pyramides, si elles posent des questions quant à la technologie dont bénéficiaient les hommes de cette époque, ne peuvent en revanche pas être envisagées comme des preuves suffisantes de ce savoir supérieur.
- Le concept d’une « chute » ayant correspondu à une brisure de l’harmonie originelle : en fait, rien n’indique qu’un tel épisode ait réellement eu lieu, ou que le monde ait été « meilleur » que le monde présent dans des temps anciens. Le fait que le monde actuel soit confronté à d’innombrables difficultés ne signifie pas que le monde « d’avant » ait été meilleur : on peut très bien l’interpréter comme étant la conséquence directe de la nature humaine (dans cette perspective, certes pessimiste, la « chute » ne concernerait que les sociétés modernes occidentales actuelles : elle se déroulerait maintenant, dans le présent.)
Des aspects trop fantaisistes
À l’opposé des controverses présentées précédemment, certains aspects de la théorie créationniste me semblent trop fantaisistes pour être crédibles, en dehors de croyances purement religieuses basées sur des interprétations littérales de la Bible :
- L’hypothèse de la Création ex nihilo ne peut être considérée comme une explication suffisante de l’apparition du monde. Au-delà de la connotation trop surnaturelle, cette hypothèse peut même être vue comme n’expliquant rien du tout. Si le Big Bang est parfois considéré comme une création, cette dernière provient forcément de « quelque chose » de préexistant (matière et énergie, a minima.)
- Comme déjà abordé plus haut, l’idée que certains événements géologiques auraient eu lieu en seulement quelques jours ne semble pas acceptable (à ce niveau, la comparaison avec des éruptions volcaniques ne paraît pas appropriée) : pour être crédible, l’auteur aurait dû s’en tenir à des durées exprimées en mois ou en années, déjà très courtes en comparaison de périodes exprimées en millions d’années.
- Le récit de l’Arche de Noé ressemble trop à une fiction, et les arguments apportés pour soutenir cette version des faits (pp. 115-119) bien trop légers pour être convaincants ; ici aussi, il doit être possible d’envisager ce récit de façon symbolique (par exemple, on parle de « goulet d’étranglement » lorsqu’une population passe par un très faible effectif, à relier à la notion d’ « effet fondateur ».)
Une analyse pertinente de la dimension idéologique
Demongeot consacre toute une partie de son livre à l’aspect idéologique du darwinisme, et c’est sans doute la partie la plus convaincante. Une fois encore, l’auteur fait montre d’une grande culture et d’un recul salutaire aptes à dénoncer un certain nombre de dérives du darwinisme :
- L’idée que cette interprétation du vivant, prétendument dégagée de toute idéologie, est « insoumise au réel et fabrique ses propres idoles », croyances et superstitions (p. 274) : on retrouve ici les impossibles neutralité et indépendance de la science et sa parenté avec des pratiques religieuses[48].
- Le fait que l’évolutionnisme moderne défende des idées modernes donc « meilleures » (p. 279) : on retrouve cette prétention dans le rejet de théories « anciennes » vues comme obsolètes, ou de la philosophie car ne reposant pas sur des bases suffisamment rigoureuses (dans le même genre, on reproche à certains auteurs de citer trop de références bibliographiques « anciennes ».)
- Le lien entre le darwinisme et certaines doctrines politiques (capitalisme, communisme, nazisme, eugénisme ; pp. 282-289), qui, contrairement à une idée reçue, ne sont pas que des conséquences du darwinisme, en contradiction flagrante avec la prétendue neutralité de la science.
- Le nihilisme de la vision scientifique, darwinienne du monde, la quête de sens ayant été abandonnée au profit d’une perspective qui confine à l’absurdité d’une série d’accidents et de coïncidences sous l’emprise d’un hasard omniprésent (pp. 289-291) : dans cette perspective, le monde n’a pas de sens profond, seulement celui qu’on veut bien lui attribuer.
- Les relations permanentes et invasives entre science et société, notamment le fait que le darwinisme, véritable outil de propagande et de conditionnement idéologique, soit artificiellement maintenu car il est à la base du fonctionnement du monde et bénéficie par ce truchement d’une totale immunité intellectuelle (pp. 293-296.)
- La philosophie des Lumières qui, se basant uniquement sur la « raison » humaine, replace en quelque sorte l’Homme et son jugement au centre de l’Univers, alors que l’entreprise ainsi défendue consiste à « tout déconstruire pour tout reconstruire par la seule force de [la] raison » (pp. 307-310.)
- Le monisme ontologique (pp. 311-313) pose davantage de questions, notamment sur la démarcation entre rationalité et irrationalité (d’autant plus qu’on peut déceler un intermédiaire, la non rationalité) ; toutefois, on peut le relier au monisme explicatif du darwinisme, uniquement centré sur le couple mutations aléatoires / sélection naturelle, censé tout expliquer – et son contraire – quand un certain nombre d’auteurs prônent un pluralisme explicatif du processus évolutif [49].
- Le nominalisme (pp. 314-319.) L’essentialisme est prétendument antiscientifique car « incompatible avec tout transformisme et toute évolution[50] », alors que, comme le souligne Anda Danciu, « il y aurait deux types d’essentialismes, l’un typologique et l’autre explicatif et téléologique », ce dernier étant « un essentialisme où les essences ne sont pas des stipulations définitionnelles, mais des structures causales sous-jacentes qui expliquent les faits observés à répétition chez les espèces[51] ». Cela n’empêche pas les scientifiques d’adopter le nominalisme, une position philosophique qui, en fin de compte, vide le monde de toute signification véritable, de toute substance fondamentale.
- Le fait de tenter d’expliquer le vivant par son devenir (son évolution) tout en méconnaissant son origine (pp. 319-327.) Il faut savoir que, du point de vue des darwinistes, « il existe des modèles qui expliquent comment la vie et ses propriétés pourraient être apparues à partir de molécules organiques […] Ces modèles sont darwiniens […][52] » Certes, des hypothèses existent, mais il faut bien reconnaître que, malgré leur plausibilité et quantité de détails, il ne s’agit que de spéculations basées sur les connaissances concernant les cellules et organismes actuels. D’autre part, prétendre expliquer l’apparition de la vie en faisant intervenir les mêmes mécanismes que ceux qui la font évoluer (le couple variation-sélection) semble absurde, car il s’agit, fondamentalement, de processus différents. Enfin, cela signifierait que la sélection naturelle existe aussi au niveau des molécules – ce qui reste à prouver.
CONCLUSION – DU DIALOGUE DE SOURDS VERS UNE THÉORIE ALTERNATIVE
Ce livre plutôt fascinant m’a permis de prendre connaissance de certaines thèses créationnistes, qui proposent une interprétation « alternative » du monde. Par certains points, ces thèses sont loin d’être inintéressantes car elles mettent en évidence de nombreuses failles de l’investigation scientifique « classique » ; par d’autres, en revanche, certaines idées ne m’ont pas paru plus convaincantes que celles qui sont développées notamment par les sciences évolutionnistes. Ce qui me semble manquer aux théories créationnistes, c’est la définition plus rigoureuse d’un schéma d’ensemble plus homogène et plus cohérent, permettant de mieux définir certains tenants et aboutissants des modèles ainsi défendus. En fin de compte, il me semble qu’en lieu et place d’un conflit ouvert et stérile entre les deux « écoles », un rapprochement devrait être envisagé dans le cadre d’études complémentaires susceptibles, comme le dit Rupert Sheldrake[53], de « réenchanter » la science.
Ce que je trouve tout spécialement frustrant et contre-productif, c’est l’éternel dialogue de sourds entre darwinistes et créationnistes. En particulier, les darwinistes, se croyant obligés de répondre aux objections adverses (qu’ils pourraient très bien ignorer, à moins de chercher à convaincre les sceptiques – y compris eux-mêmes ?), se contentent de régurgiter leurs imprescriptibles arguments que, justement, leurs opposants trouvent suspects[54]. Le précepte à la fois le plus insignifiant et le plus écœurant est celui selon lequel les théories créationnistes ne seraient pas scientifiques : insignifiant car les critères retenus (non testabilité, non réfutabilité) s’appliquent tout aussi bien à de nombreuses hypothèses scientifiques ; écœurant car finalement imprégné d’une incroyable mauvaise foi (à quelle autre conclusion des « vrais scientifiques » pouvaient-ils aboutir ?)
De façon indubitablement plus constructive, une sorte de théorie alternative pourrait être proposée. La solution à cette controverse me semble reposer en une situation en quelque sorte intermédiaire : certes, la vision darwinienne du monde semble dépassée et obsolète, mais, par certains aspects, la théorie créationniste, si ingénieuse soit-elle, m’apparaît comme malhabile et inaboutie. A mi-chemin entre ces deux « extrêmes » existe sans doute une solution susceptible d’être acceptable pour de nombreux chercheurs, une théorie qui pourrait combiner des aspects matérialistes (structuralisme, causalité circulaire, inhérence, convergence, écologie, etc.) et, pourquoi pas, spirituels (comme la beauté et l’harmonie du vivant, dimensions qui échappent complètement à la science conventionnelle car faisant intervenir un « discours sur les valeurs ».)
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Notes
[1] Terme déjà utilisé par Niles Eldredge et Stephen Jay Gould dans Reinventing Darwin (1997), pour dénoncer cette forme de «fondamentalisme darwinien ». Gould a également employé l’expression « hyperdarwinisme » (hyperdarwinism.)
[2] Sniadecki, Andréas (octobre 2005). Guillaume Lecointre, guide critique.Dossier de presse, 1er épisode.
[3] Sheldrake, Rupert (2016). Réenchanter la science. Une autre façon de voir le monde. Poche. Œuvre originale en anglais : Sheldrake, Rupert (2012). The Science Delusion: Freeing the Spirit of Enquiry. Coronet Books.
[4] Disponible à l’adresse
[5] Moreel, Jean-François (2007.) Le darwinisme, envers d’une théorie. François-Xavier de Guibert.
[6] Louart, Bertrand (2010). Aux origines idéologiques du darwinisme. Recueil de 5 articles publiés dans Archipel, journal du Forum Civique Européen de mars à juillet 2009 (n°169 à 173.)
[7] Moreel, op. cit.
[8] Lecointre, Guillaume (2009.) Guide critique de l’évolution. Belin, collection Sciences Supérieur,p. 56.
[9] Idée développée extensivement par Richard Dawkins dans L’Horloger aveugle, Robert Laffont, 1999 (The Blind Watchmaker, 1987.)
[10] Moreel, op. cit.
[11] Ibid.
[12] Pour un aperçu des prises de position radicales de certains scientifiques, voir Le guide critique de l’évolution (Ch. 6 et Annexede la Partie I) ; pour un débat sur la question, voir Del Ratzsch (2010) et Francisco J. Ayala (2010).
[13] Dépasser Darwin, par Didier Raoult (2010), p. 148.
[14] The Runes of Evolution, par Simon Conway Morris (2015), p. 6.
[15] Voir, par exemple, Ayala (1998.)
[16] Voir Nicole Perret (2013) et Anda Daciu (2019.)
[17] L’Horloger aveugle (op. cit.).
[18] From Darwinian Metaphysics towards Understanding the Evolution of Evolutionary Mechanisms (2012).
[19] Voir Shattering the Myths of Darwinism (1997 ; Ch. 6.)
[20] Ibid. (Ch. 5).
[21] Ibid. (Ch. 7).
[22] Biologie évolutive (2010 ; Chapitre 7).
[23] Stabilité déjà remarquée par Eldredge et Gould (1972.)
[24] Argument dit « d’ignorance » développé notamment par Richard Dawkins (L’Horloger aveugle ; op. cit.; introduction) et Francisco Ayala (2010 ; op. cit. ; p. 374.)
[25] Del Ratzsch (2010 ; op. cit., pp. 353-354.)
[26] Selon l’expression de Bertrand Louart (Aux origines idéologiques du darwinisme, op. cit.).
[27] Aux origines idéologiques du darwinisme (op. cit.)
[28] Voir, par exemple, Evolution and the Autonomy of Biology, par Francisco J. Ayala (1998.)
[29] The Blind Watchmaker (op. cit.)
[30] Guide critique de l’évolution (op. cit. ; p. 355.)
[31] Guide critique de l’évolution (op. cit. ; p. 355.)
[32] Evolution: still a theory in crisis (2016 ; notamment Chapitres 4 et 12.)
[33] Eric Bapteste (2013.)
[34] The Logic of Chance (2012 ; Ch. 5.)
[35] « […] Darwinian evolution [does] not apply to the microbial world […] » (ibid., p. 106.)
[36] Voir mon article « La notion de complexité en biologie évolutive : une revue synthétique. » Disponible à l’adresse https://www.researchgate.net/publication/337195629_LA_NOTION_DE_COMPLEXITE_EN_BIOLOGIE_EVOLUTIVE_UNE_REVUE_SYNTHETIQUE_THE_CONCEPT_OF_COMPLEXITY_IN_EVOLUTIVE_BIOLOGY_A_SYNTHETIC_REVIEW.
[37] The Evolution of Life on the Earth (1994.)
[38] L’éventail du vivant – Le mythe du progrès (1997.)
[39] Guide critique de l’évolution (op. cit.; p. 99.)
[40] Bertrand Louart (2010 ; op. cit.)
[41] Voir, par exemple, Ni Dieu, ni Darwin, l’écologie évolutive.
[42] Thierry Lodé (2011.)
[43] Une nouvelle science de la vie.
[44] Evolution: a View from the 21st Century, par James A. Shapiro.
[45] Voir, par exemple : Épistémologie constitutive pour les sciences du vivant (2013 ; Ch. 7.)
[46] Evolution – The Extended Synthesis (2010 ; notamment le Ch. 8.)
[47] Evolution : vers une approche dialectique (2017.)
[48] Voir, par exemple Dépasser Darwin, par Didier Raoult (pp. 55 & 149) ; au sujet de l’origine religieuse de certains aspects de la science, voir From Darwinian Metaphysics towards Understanding the Evolution of Evolutionary Mechanisms (op. cit., notamment p. 78.)
[49] Voir, par exemple, Gould et Lewontin (1979.)
[50] Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 27.)
[51] Explications mécanistes et téléologiques de l’évolution de la forme (op. cit.)
[52] Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 186.)
[53] Réenchanter la science.
[54] Voir, par exemple, There Is No Place for Intelligent Design in the Philosophy of Biology, par Francisco J. Ayala.
Biographie sommaire de l’auteur
B&SD : Nous laissons l’auteur se présenter lui-même ci-dessous. David ESPESSET est titulaire d’un doctorat en biologie moléculaire de l’université Aix-Marseille (1992-1995), a réalisé deux post-doctorats, le premier à l’Institut suisse de recherches expérimentales sur le cancer (1996-1997) et le second à l’INSERM (1998), et a été enseignant de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) en collège et lycée.
Par David ESPESSET
L’Univers au sens large, et plus précisément la Nature, sont des sujets d’investigation fascinants. Dès mon plus jeune âge, j’ai développé un goût prononcé pour l’étude des êtres vivants. Au cours de mes années de formation scientifique, avide de connaissances toujours plus poussées, j’ai toutefois rapidement développé un regard critique concernant certaines affirmations de mes professeurs. Puis, une réflexion plus extensive, assortie de lectures diverses et variées, m’ont mené à l’élaboration de points de vue plus personnels, basés sur des théories « différentes », et à une volonté de lutter contre l’orthodoxie, le conformisme et les conventions, voire l’enfermement de nos institutions, en particulier une forme d’aveuglement intellectuel qui se manifeste assez souvent au sein de la communauté scientifique. Me considérant comme un authentique libre penseur, j’ai mis en place un projet de recherche théorique et bibliographique concernant la philosophie des sciences, notamment l’épistémologie, ainsi que l’évolution non darwinienne. En effet, un nombre sans cesse grandissant d’auteurs sont à l’origine de productions sur ces sujets passionnants, remettant en cause un certain nombre de « dogmes » qui plombent l’investigation scientifique classique, incitant les chercheurs à reconsidérer certaines interprétations intellectuellement orientées dans le cadre de théories devenues rigides et quasiment intouchables.
La Science et la Philosophie (mais aussi la Spiritualité) proposent chacune leur façon d’approcher les mystères du Cosmos et du Vivant. Souvent considérées comme incompatibles et irréconciliables, ces disciplines ne pourraient-elles être, au contraire, complémentaires, indispensables pour une appréhension globale de l’Univers ? Des réflexions et des concepts qui ne sont pas tous forcément nouveaux, mais se veulent délibérément sortir des sentiers battus et permettre une vision plus large, plus complète, plus lucide du monde qui nous entoure. Ainsi, la représentation scientifique du monde est-elle la seule qui soit valable ? Si on peut la considérer comme nécessaire, est-elle pour autant suffisante ? Que penser du rôle du hasard dans l’évolution cosmique et biologique ? Quels influences jouent nos conceptions mentales, nos héritages familiaux et culturels dans nos représentations du monde ? Autant de domaines captivants parmi d’autres que je développe dans mon programme de recherche personnel.
« The Full Mind is alone the Clear. »
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