Problème n° 9 : le néodarwinisme peine à expliquer la répartition biogéographique de nombreuses espèces.

Par Casey Luskin

23 juillet 2020

Bienvenue dans le Top 10 des problèmes scientifiques liés à l’évolution biologique et chimique.

Note de l’éditeur : Il s’agit de la neuvième partie d’une série de dix articles basés sur le chapitre de Casey Luskin, “Les dix principaux problèmes scientifiques liés à l’évolution biologique et chimique“, du livre More than Myth, édité par Paul Brown et Robert Stackpole (Chartwell Press, 2014.) Les autres chapitres individuels peuvent être consultés ici : Problème 1, Problème 2, Problème 3, Problème 4, Problème 5, Problème 6, Problème 7, Problème 8, Problème 9, Problème 10, Problème supplémentaire.

Carte des grandes régions faunistiques

La biogéographie est l’étude de la répartition des organismes dans le temps et l’espace, tant dans le présent que dans le passé sur Terre. L’on prétend souvent que la biogéographie appuie fortement la théorie néodarwinienne. Par exemple, le National Center for Science Education (NCSE), un lobby prodarwininien, affirme que “la cohérence entre les modèles biogéographiques et évolutifs constitue des preuves importantes au sujet de la continuité des processus qui conduisent à l’évolution et à la diversification de toutes les formes de vie” et que “cette continuité est ce que l’on attend d’un modèle d’ascendance commune.” Cependant, le NCSE exagère considérablement son propos et met de côté les nombreux cas où la biogéographie ne montre pas le type de “continuité” que l’on pourrait attendre d’un modèle d’ascendance commune.

Les explications évolutives de la biogéographie échouent lorsque des organismes terrestres (ou d’eau douce) apparaissent dans un endroit (comme une île ou un continent) où il n’existe pas de mécanisme migratoire communément accepté qui puisse les amener là à partir d’une population ancestrale. En d’autres termes, lorsque nous trouvons deux populations d’organismes, l’évolution darwinienne affirme que si nous remontons suffisamment loin dans le temps, elles doivent être liées par une ascendance commune. Mais il est quelquefois pratiquement impossible d’expliquer comment ces populations ont pu arriver à leurs emplacements géographiques respectifs sur le globe à partir d’une population ancestrale.

Par exemple, l’une des énigmes biogéographiques les plus sérieuses pour la théorie darwinienne est l’origine des singes sud-américains, appelés “Platyrhiniens”. D’après des preuves moléculaires et morphologiques, l’on pense que les singes platyrhiniens du Nouveau Monde descendent des singes africains de l'”Ancien Monde” ou “Catarhiniens”. Les fossiles montrent que les singes ont vécu en Amérique du Sud depuis environ 30 millions d’années137. Mais l’histoire de la tectonique des plaques montre que l’Afrique et l’Amérique du Sud se sont séparées l’une de l’autre il y a entre 100 et 120 millions d’années (ma), et que l’Amérique du Sud était un continent insulaire isolé depuis environ 80 à 3,5 ma138. Si les singes sud-américains se sont séparés des singes africains vers 30 ma, les partisans du néodarwinisme doivent d’une manière ou d’une autre expliquer comment ils ont traversé des centaines, voire des milliers de kilomètres de pleine mer pour se retrouver en Amérique du Sud.

Ce problème pour les biologistes évolutionnistes a été reconnu par de nombreux experts. Un manuel de Harper Collins sur l’évolution humaine affirme ce qui suit :

“L’origine des singes platyrhiniens a intrigué les paléontologues pendant des décennies… Quand et comment les singes sont-ils arrivés en Amérique du Sud ?139

Les primatologues John G. Fleagle et Christopher C. Gilbert l’expriment comme suit dans un ouvrage scientifique sur les origines des primates :

“L’aspect le plus ardu sur le plan biogéographique de l’évolution des Platyrhiniens concerne l’origine de la clade entière. L’Amérique du Sud était un continent insulaire pendant la plus grande partie du Tertiaire… et les paléontologues ont débattu pendant une grande partie de ce siècle de la manière dont les primates ont atteint l’Amérique du Sud et de l’endroit où ils sont arrivés140.”

Le spécialiste des primates Walter Carl Hartwig est tout aussi direct :

“La question des origines des Platyrhiniens englobe plusieurs questions différentes. Comment les Platyrhiniens sont-ils arrivés en Amérique du Sud ?141

Des questions aussi fondamentales et contrariantes ne permettent certainement pas de soutenir les affirmations du NCSE concernant la “cohérence entre les modèles biogéographiques et évolutifs”.

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le genre d’arguments avancés par les biogéographes néodarwiniens, les réponses à ces énigmes peuvent être presque trop incroyables pour être crues. Un manuel édité par Harper Collins donne l’explication suivante :

“Selon l”hypothèse de dispersion océanique par radeaux’, les singes ont évolué à partir de prosimiens seulement en Afrique, et … ont fait le voyage par des voies gorgées d’eau jusqu’en Amérique du Sud142.”

Et bien sûr, le singe marin ne peut pas être seul, sinon le singe mourra bientôt sans laisser de progéniture. Il faut donc qu’au moins deux singes (ou peut-être une seule singe enceinte) aient fait le voyage par radeau.

Fleagle et Gilbert observent que l’hypothèse du radeau “soulève une problématique biogéographique difficile” parce que “l’Amérique du Sud est séparée de l’Afrique par une distance d’au moins 2600 km, ce qui rend très improbable l’existence d’un lien phylogénétique et biogéographique entre les faunes de primates des deux continents143“. Mais ils sont convaincus du paradigme évolutionniste, ce qui signifie qu’ils sont obligés de trouver un tel “lien”, qu’il soit vraisemblable ou non. Ils affirment qu’à la lumière de “l’absence d’anthropoïdes en Amérique du Nord, combinée aux preuves morphologiques considérables d’un lien sud-américain-africain avec les faunes de rongeurs et de primates”, “l’hypothèse du radeau est le scénario le plus vraisemblable pour l’origine biogéographique des Platyrhiniens144“.

En d’autres termes, l’hypothèse “invraisemblable” du radeau est rendue “vraisemblable” uniquement parce que nous savons que l’ascendance commune doit être vraie.

En effet, l’hypothèse du radeau est confrontée à de sérieux problèmes, car les mammifères comme les singes ont un métabolisme élevé et ont besoin de grandes quantités de nourriture et d’eau145. Fleagle et Gilbert admettent donc que “la dispersion en mer au cours de l’évolution des primates semble vraiment étonnante pour un ordre de mammifères”, et concluent que

“les raisons de la prévalence de la dispersion par radeaux au cours de l’évolution des primates reste à être expliquée146.”

Ou, comme le dit Hartwig,

“Les preuves accablantes de l’isolement de l’Amérique du Sud au cours du Crétacé tardif-Pliocène rendent l’aspect mécanique de la dispersion des Platyrhiniens pratiquement insoluble”,

car

“tout modèle d’une origine située dans l’Éocène tardif doit invoquer un mécanisme de traversée transocéanique qui est peu plausible (radeau) ou suspect … au mieux147.”

Et il y a des problèmes plus profonds : des singes ont apparemment fait le voyage de l’Afrique vers l’Amérique du Sud, mais d’autres petits primates africains n’ont jamais colonisé le Nouveau Monde. S’il était si facile pour les singes de traverser l’océan proto-atlantique en radeau, pourquoi ces petits primates n’ont-ils pas effectué le voyage eux aussi ? La raison que nous en donnent Fleagle et Gilbert est qu’il n’existe pas de raisons et que tout se résume au hasard. Selon leurs propres termes, le voyage par radeau est “clairement un événement fortuit” et “l’on ne peut que supposer que, grâce à un coup de chance, les anthropoïdes ont pu “gagner” au tirage au sort alors que les loris et les galagos ne l’ont pas pu148.”

Ce n’est pas le seul cas qui fait appel au radeau ou à d’autres mécanismes spéculatifs de “dispersion océanique” pour contourner les énigmes biogéographiques qui défient le néodarwinisme. Citons, par exemple, la présence de lézards et de grands rongeurs caviomorphes en Amérique du Sud149, l’arrivée des abeilles, des lémuriens et d’autres mammifères à Madagascar150, l’apparition de fossiles d’éléphants sur “de nombreuses îles151“, l’apparition de grenouilles d’eau douce sur des chaînes d’îles océaniques isolées152, et de nombreux autres exemples similaires153. Ce problème existe également pour les espèces disparues, comme le note un article dans Annals of Geophysics à propos du “problème toujours non résolu de la distribution disjointe des fossiles sur les côtes opposées du Pacifique154.” Une revue de 2005 dans Trends in Ecology and Evolution explique le problème comme suit :

“Un problème classique en biogéographie consiste à expliquer pourquoi certains taxa terrestres et d’eau douce ont des répartitions géographiques qui sont séparées par les océans. Pourquoi trouve-t-on des hêtres méridionaux (Nothofagus spp.) en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Nouvelle-Guinée et dans le Sud de l’Amérique du Sud ? Pourquoi y a-t-il des iguanes dans les îles Fidji, alors que tous leurs proches parents se trouvent dans le Nouveau Monde ?155

Après avoir passé en revue un certain nombre d’exemples biogéographiques “inattendus” qui nécessitent une dispersion océanique, l’étude conclut :

“Ces cas renforcent un message général du grand évolutionniste [Darwin] : si l’on dispose de suffisamment de temps, de nombreuses choses qui semblent invraisemblables peuvent se produire156.”

Ainsi, les évolutionnistes néodarwiniens sont contraints de faire appel à la migration “improbable” ou “inattendue” des organismes, nécessitant dans certains cas la traversée des océans pour tenir compte des données biogéographiques. Ce type de données ne réfutent pas nécessairement de manière absolue le darwinisme, mais au moins elles remettent en question l’argument simpliste selon lequel la biogéographie soutient l’ascendance commune universelle par la concordance entre les voies migratoires et l’histoire évolutive. Dans de nombreux cas, cette concordance n’existe tout simplement pas.

L’article original en anglais a été publié sur Evolution News à l’adresse https://www.discovery.org/a/24041/#fn142 le 20 février 2015 et a été traduit en français et republié sur Bible & Science Diffusion avec autorisation.

Références :

137 Alfred L Rosenberger et Walter Carl Hartwig, “New World Monkeys”, Encyclopedia of Life Sciences (Nature Publishing Group, 2001.)

138 Carlos G. Schrago et Claudia A. M. Russo, “Timing the origin of New World monkeys”, Molecular Biology and Evolution, 20(10):1620-1625 (2003) ; John J. Flynn et A.R. Wyss, “Recent advances in South American mammalian paleontology”, Trends in Ecology and Evolution, 13(11):449-454 (novembre 1998) ; C. Barry Cox & Peter D. Moore, Biogeography: An Ecological and Evolutionary Approach, p. 185 (Blackwell Science, 1993.)

139 Adrienne L. Zihlman, The Human Evolution Coloring Book, pp. 4-11 (Harper Collins, 2000.)

140 John G. Fleagle et Christopher C. Gilbert, “The Biogeography of Primate Evolution: The Role of Plate Tectonics, Climate and Chance”, dans Primate Biogeography: Primate Biogeography: Progress and Prospects, pp. 393-394 (Shawn M. Lehman et John G. Fleagle, éd., Springer, 2006) (c’est nous qui soulignons.)

141 Walter Carl Hartwig, “Patterns, Puzzles and Perspectives on Platyrrhine Origins”, dans Integrative Paths to the Past: Paleoanthropological Advances in Honor of F. Clark Howell, p. 69 (édité par Robert S. Corruccini et Russell L. Ciochon, Prentice Hall, 1994.)

142 Adrienne L. Zihlman, The Human Evolution Coloring Book, p. 4-11 (Harper Collins, 2000.)

143 John G. Fleagle et Christopher C. Gilbert, “The Biogeography of Primate Evolution: The Role of Plate Tectonics, Climate and Chance”, dans Primate Biogeography: Primate Biogeography: Progress and Prospects, p. 394 (Shawn M. Lehman et John G. Fleagle, éd., Springer, 2006) (soulignement ajouté.)

144 Ibid. p. 394-395 (italiques ajoutés.)

145 Ibid. à la page 404.

146 Ibid. aux pages 403-404.

147 Walter Carl Hartwig, “Patterns, Puzzles and Perspectives on Platyrrhine Origins”, dans Integrative Paths to the Past: Paleoanthropological Advances in Honor of F. Clark Howell, pp. 76, 84 (sous la direction de Robert S. Corruccini et Russell L. Ciochon, Prentice Hall, 1994.)

148 John G. Fleagle et Christopher C. Gilbert, “The Biogeography of Primate Evolution: The Role of Plate Tectonics, Climate and Chance”, dans Primate Biogeography: Primate Biogeography: Progress and Prospects, p. 395 (Shawn M. Lehman et John G. Fleagle, éditeurs, Springer, 2006.)

149 John C. Briggs, Global Biogeography, p. 93 (Elsevier Science, 1995.)

150 Susan Fuller, Michael Schwarz, et Simon Tierney, “Phylogenetics of the allodapine bee genus Braunsapis: historical biogeography and long-range dispersal over water”, Journal of Biogeography, 32:2135-2144 (2005) ; Anne D. Yoder, Matt Cartmill, Maryellen Ruvolo, Kathleen Smith et Rytas Vilgalys, “Ancient single origin of Malagasy primates”. Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 93:5122- 5126 (mai 1996) ; Peter M. Kappeler, “Lemur Origins: Rafting by Groups of Hibernators? Folia Primatol, 71:422-425 (2000) ; Christian Roos, Jürgen Schmitz et Hans Zischler, “Primate jumping genes elucidate strepsirrhine phylogeny”, Proceedings of the National Academy of Sciences USA, 101 : 10650-10654 (20 juillet 2004) ; Philip D., “Lemur Origins: Rafting by Groups of Hibernators? Rabinowitz & Stephen Woods, “The Africa-Madagascar connection and mammalian migrations”, Journal of African Earth Sciences, 44:270-276 (2006) ; Anne D. Yoder, Melissa M. Burns, Sarah Zehr, Thomas Delefosse, Geraldine Veron, Steven M. Goodman & John J. Flynn, “Single origin of Malagasy Carnivora from an African ancestor”, Nature, 421:734-777 (13 février 2003.)

151 Richard John Huggett, Fundamentals of Biogeography, p. 60 (Routledge, 1998.)

152 G. John Measey, Miguel Vences, Robert C. Drewes, Ylenia Chiari, Martim Melo et Bernard Bourles, “Freshwater paths across the ocean: molecular phylogeny of the frog Ptychadena newtoni gives insights into amphibian colonization of oceanic islands”, Journal of Biogeography, 34 : 7-20 (2007.)

153 Alan de Queiroz, “The resurrection of oceanic dispersal in historical biogeography”, Trends in Ecology and Evolution, 20(2) : 68-73 (février 2005.) Pour une discussion plus détaillée, voir Casey Luskin, “The Constitutionality and Pedagogical Benefits of Teaching Evolution Scientifically”, University of St. Thomas Journal of Law & Public Policy, VI (1) : 204-277 (automne 2009.)

154 Giancarlo Scalera, “Fossils, frogs, floating islands and expanding Earth in changing-radius cartography – A comment to a discussion on Journal of Biogeography“, Annals of Geophysics, 50(6):789-798 (décembre 2007.)

155 Alan de Queiroz, “The resurrection of oceanic dispersal in historical biogeography”, Trends in Ecology and Evolution, 20(2):68-73 (février 2005.)

156 Ibid.


A propos de Casey Luskin

Casey Luskin

Casey Luskin est scientifique et avocat, et titulaire de diplômes d’études supérieures en sciences et en droit. Il a obtenu une licence et une maîtrise en sciences de la terre à l’université de Californie à San Diego, où il a beaucoup étudié la géologie et l’évolution, tant au niveau du premier que du deuxième cycles. Sa thèse de maîtrise portait sur le paléomagnétisme de la plaine de la rivière Snake dans le Sud de l’Idaho.

Depuis 2005, il est avocat agréé en Californie, après avoir obtenu un diplôme de droit à la faculté de droit de l’université de San Diego, où ses études ont porté sur le droit du Premier amendement de la Constitution, le droit de l’éducation et le droit de l’environnement. Il a également mené des recherches géologiques à la Scripps Institution for Oceanography.

En 2001, il a cofondé le centre IDEA (Intelligent Design and Evolution Awareness), une organisation à but non lucratif qui aide les étudiants dans leurs recherches sur le dessein intelligent (ID) en créant des “clubs IDEA” sur les campus des universités et des lycées du monde entier.

De 2005 à 2015, il a travaillé pour le Centre pour la science et la culture du Discovery Institute, d’abord comme responsable de programme en politique publique et affaires juridiques (2005-2010), puis comme coordinateur de recherche (2011-2015.) Dans ces fonctions, il a aidé et défendu des scientifiques, des éducateurs et des étudiants qui cherchaient à étudier, effectuer des recherches et enseigner librement sur le débat scientifique concernant l’évolution et l’identité néodarwiniennes. Comme expliqué sur son site personnel, au 31 décembre 2015, il ne travaille plus comme membre du personnel du Discovery Institute car il a pour objectif de poursuivre ses études.

Certaines de ses publications sont parues dans des revues techniques de droit et de sciences et dans d’autres revues spécialisées, notamment le Journal of Church and State ; la Montana Law Review ; la Hamline Law Review ; la Liberty University Law Review ; la University of St. Thomas Journal of Law & Public Policy ; et Geochemistry, Geophysics, and Geosystems (G3.) Il a également coécrit ou contribué à de nombreux ouvrages.

Il s’intéresse tout particulièrement à la géologie, à l’enseignement des sciences, aux origines biologiques et à la protection de l’environnement.

Formation :

  • Doctorat en droit, Université de San Diego.
  • Maîtrise en sciences de la terre, Université de Californie, San Diego.
  • Licence en sciences de la terre, université de Californie, San Diego.

Affiliations professionnelles passées et/ou présentes :

  • Barreau de Californie.
  • Association américaine pour l’avancement de la science.
  • Association du barreau américain.
  • Union géophysique américaine.
  • Société scientifique chrétienne.
  • Société juridique chrétienne.
  • American Scientific Affiliation.